Une étude approfondie récente en droit comparé des contrats* a conclu que le droit anglais des contrats représentait le droit national préféré des acteurs économiques pour soumettre leurs différends internationaux, un taux d’attractivité trois fois supérieur à celui du droit français voire du droit américain. Plusieurs raisons à cela, à commencer par une jurisprudence connue, bien développée et réputée pour son pragmatisme et sa flexibilité.
La spécificité jurisprudentielle du droit anglais des contrats
Droit non codifié et essentiellement jurisprudentiel, le droit anglais des contrats offre effectivement un outil privilégié à la disposition des juristes dans la rédaction et la négociation de leurs contrats à l’international.
Il reste que la culture et les concepts de common law qui sous-tendent la rédaction comme l’interprétation du droit anglais des contrats est très différente de ce qui existe en droit français et de la tradition civiliste d’Europe continentale. C’est particulièrement le cas s’agissant des types de dommages-intérêts pouvant être alloués en cas d’inexécution de ses obligations contractuelles.
Dans cet article nous présentons certaines des particularités du droit anglais des contrats.
Une des spécificités que les praticiens doivent avoir en tête avant d’étudier le mécanisme des dommages et intérêts propres au droit anglais des contrats, c’est que la notion de bonne foi, socle du droit contractuel français, voire du droit américain en vertu du Uniform Commercial Code, n’a qu’une faible importance en droit anglais des contrats. En effet, l’obligation d’information sur la mise en garde ou la transmission d’informations qui s’avèreraient utiles pour le cocontractant ne sont pas requises, la position historiquement prise par les tribunaux anglais étant que la bonne foi crée une incertitude, particulièrement dans les transactions internationales où des différences liées à la diversité culturelle des acteurs économiques empêcheraient une interprétation consistante et donc certaine dans son application. En conséquence, les parties à un contrat soumis au droit anglais devront faire les diligences nécessaires afin de protéger leurs intérêts préalablement à la signature du contrat et prévoir expressément par voie de garanties et autres stipulations expresses les engagements qu’elles souhaitent prendre contractuellement entre elles.
Du fait de mon expérience transatlantique de près de 30 ans en droit des contrats anglo-saxons et dans la pratique de la common law en général, en tant qu’avocat admis en Angleterre, je conseille les entreprises dans leurs opérations sur place et notamment dans la rédaction et la négociation de leurs contrats soumis au droit anglais.
D’une manière générale le droit anglais des contrats et de la responsabilité ne fait aucune distinction entre obligations de moyens et obligations de résultat. Ces concepts très ancrés dans le droit français et hérités de la tradition civiliste du droit de la responsabilité n’ont aucune résonance en droit anglais.
Contrat et préjudice : « duty of mitigation »
Le droit anglais de la réparation du préjudice suite à un manquement à une obligation contractuelle a pour objectif de remettre la victime, autant que faire se peut, dans la position qui aurait été la sienne si le contrat avait été exécuté comme prévu. Les dommages-intérêts en droit de la responsabilité contractuelle sont de nature réparatrice (restorative), pas punitive.
Une fois le préjudice (breach) établi ainsi que son lien de causalité (causation), certaines particularités du droit anglais des contrats peuvent intervenir et influencer tant le principe de l’obtention de la réparation que l’étendue de la réparation.
La première particularité est celle liée au duty of mitigation, qui impose à la partie lésée de limiter son préjudice, c’est-à-dire de pouvoir prouver qu’elle a pris des mesures raisonnables compte tenu des faits, pour éviter ou limiter son préjudice. Ce principe permet de restreindre les situations où une des parties reste inactive en attendant que le dommage se produise.
Le principe de “remoteness of damage”
La seconde particularité dérive du principe de remoteness of damage, selon lequel ne pourront faire l’objet d’une réparation par voie de dommages-intérêts (damages) que les préjudices dont la partie lésée pourra établir qu’ils sont raisonnablement causés par l’inexécution contractuelle. Ce principe est rattaché à un test développé dans un arrêt célèbre du droit anglais, l’arrêt Hadley v Baxendale, de 1854** : le test de prévisibilité (foreseeability test) du préjudice lorsque les parties ont conclu le contrat. Cette notion prend comme référence le standard comportemental raisonnablement attendu d’un homme placé dans les mêmes circonstances (reasonable man), assimilé à l’ancienne formule en droit français du « bon père de famille », qui veut que les parties aient été en mesure de prévoir le dommage lors de la conclusion du contrat (on est proche du concept de dommage prévisible de l’article 1231-3 (nouveau) du code civil):
« Where two parties have made a contract which one of them has broken, the damages which the other party ought to receive in respect of such breach of contract should be such as may fairly and reasonably be considered either arising naturally, i.e., according to the usual course of things, from such breach of contract itself, or such as may reasonably be supposed to have been in the contemplation of both parties at the time they made the contract as the probable result of the breach of it. »
S’agissant des types de dommages-intérêts proprement dits, le droit anglais des contrats opère une distinction entre les dommages qui viennent réparer le préjudice associé à la perte du contrat inexécuté (loss of a bargain) et ceux qui viennent réparer le préjudice que la partie lésée aurait subi si le contrat n’avait simplement jamais eu lieu (reliance loss). Dans les deux cas, il est important de noter qu’une partie qui n’a ni dépensé ni perdu de l’argent du fait de l’inexécution ne pourra pas recevoir réparation (sauf des nominal damages d’un faible montant en constatation, et non en réparation, de l’inexécution).
Que faut-il savoir au sujet des dommages et intérêts en droit anglais des contrats ?
Les dommages-intérêts pour perte du contrat du fait de l’inexécution (loss of a bargain), aussi appelés expectation loss, représentent la majorité des dommages-intérêts alloués en matière de responsabilité contractuelle, et ont pour objectif de remettre la partie lésée dans la situation qui aurait été la sienne si le contrat avait été exécuté conformément à ses stipulations. Ces dommages-intérêts, selon les cas, reflèteront la valeur du contrat en tant que telle, si des produits ou services de substitution peuvent être obtenus pour le même prix, ou, à défaut, la valeur marchande (market value) des produits ou services objets du contrat, laquelle valeur pourra dépasser la valeur contractuelle.
En droit anglais des contrats, les dommages-intérêts alloués en raison de la confiance qui avait été placée par la partie lésée dans l’exécution par l’autre partie de ses obligations contractuelles (reliance loss) interviennent dans les situations où il est difficile voire impossible de calculer les dommages-intérêts sur la base de la position qui aurait été celle de la partie lésée si le contrat avait été exécuté conformément à ses stipulations.
Le contrat peut également avoir prévu, à l’instar de ce qui est prévu en droit français, une clause pénale (liquidated damages) fixant par avance le montant des dommages et intérêts ou l’évaluation d’un préjudice, à condition de ne pas léser un des cocontractants (surestimation ou sous-estimation du préjudice).
A propos du cumul de responsabilité
On notera également l’existence en droit anglais des contrats, contrairement au droit français, d’un cumul de responsabilité possible au niveau contractuel et délictuel, une même situation, par exemple une vente de produits, pouvant donner lieu à une action en responsabilité contractuelle (pour inexécution d’une obligation de garantie) et à une action en responsabilité délictuelle (pour fausse déclaration ayant incité à l’achat). Les règles en matière de causalité sont en grande partie les mêmes, ainsi que la règle de remoteness dont on a parlé.
S’agissant de la revue, de la rédaction ou de la négociation des clauses de responsabilité comme de toute autre clause dans les contrats soumis au droit anglais il est important d’être accompagné par un conseil admis comme Solicitor en Angleterre et au Pays de Galles, voire admis comme avocat aussi bien au Royaume Uni qu’en France et capable de vous aider à bien comprendre et analyser les différences tant dans les concepts du droit que dans les techniques de rédaction et de négociation de vos contrats.
Pour plus d’informations sur comment s’implanter en Angleterre, nous vous invitons à vous référer à notre mini-guide.
* « The International Market for Contracts : The Most Attractive Contract Laws », Gilles Cuniberti, Northwestern Journal of International Law & Business, Vol 34, Issue 3, Spring 2014
** Hadley v Baxendale (1854) 9 Ex 341