Les conséquences de l’arrêt Alice
Historiquement, nombreux sont les éditeurs européens en particulier qui, souhaitant bénéficier de la reconnaissance la plus étendue pouvant être accordée à leurs inventions, ont déposé des brevets sur leurs logiciels aux Etats-Unis, une faculté qui pour l’essentiel leur était refusée en Europe.
Ce traitement différencié des logiciels, du point de vue de leur brevetabilité, en Europe et aux Etats-Unis, est cela dit en passe d’appartenir au passé.
En effet, depuis un arrêt de la Cour Suprême des États-Unis de juin 2014 intitulé Alice Corp. V. CLS Bank International[1], s’il n’est pas forcément plus difficile d’obtenir un brevet pour son logiciel, en revanche il est devenu plus compliqué de faire reconnaître les droits s’y rattachant devant un tribunal. La Cour a mis en place un test en deux parties afin de faire reconnaitre par les tribunaux la brevetabilité des logiciels, un test particulièrement difficile à satisfaire.
L’arrêt Alice concernait un programme d’ordinateur inventé afin de réduire les risques liés aux transactions financières. Le logiciel était conçu pour agir comme intermédiaire dans la transaction financière. Afin de déterminer si la brevetabilité du logiciel pouvait être reconnue la Cour a suivi le test en deux parties suivant :
Première Partie : La demande de brevet est-elle basée sur une idée abstraite, un phénomène naturel ou une loi de la nature ? (Arrêt Alice = OUI)
Dans cette affaire, la demande de brevet décrivait la procédure à suivre par un intermédiaire afin de réduire les risques financiers entre les parties. Pour la Cour le fait d’utiliser un logiciel comme intermédiaire dans une transaction financière est une pratique somme toute assez courante dans le commerce et, ce faisant, constitue la mise en oeuvre d’une idée abstraite qui, en tant que telle, ne répondrait pas aux conditions exigées pour la brevetabilité d’une invention.
Pour aller plus loin, la Cour identifie une idée abstraite grâce à des exemples tirés de la jurisprudence. Ainsi, les principes fondamentaux d’économies, certaines méthodes d’organisations d’activités humaines, ou des formules mathématiques sont considérés comme des idées abstraites. De plus, la Cour a jugé qu’une méthode d’atténuation des risques lors d’une négociation[2], une opération de couverture de risques[3], le fait d’utiliser la publicité comme moyen monétaire[4], ou bien de gérer un jeu de bingo[5], sont également des idées abstraites.
Dans sa mise à jour de juillet 2015[6], l’USPTO, équivalent américain de l’INPI, ajoute certaines explications :
- Les concepts liés à l’Economie et au Commerce, tels que des accords sous forme de contrats, sont considérés comme des idées abstraites.
- Les idées comme des plans, ou schémas, ou les pensées qui peuvent prendre forme dans l’esprit humain ou avec un crayon et papier, sont aussi des idées abstraites, comme le fait de comparer des informations connues, des tests cliniques, de stocker des données, ou de traiter les données grâce à une formule mathématique.
- Les concepts touchant aux relations interpersonnelles, comme le management, les transactions entre personnes, les activités sociales, le comportement humain, la publicité, ou le marketing sont des idées abstraites, tout comme le fait de créer une relation contractuelle, d’utiliser un algorithme afin de déterminer le nombre optimal de visites chez son client pour un représentant, ou de planifier des repas.
- Les formules mathématiques comme par exemple des algorithmes pour convertir un code binaire décimal dans un code binaire pur.
Dès que la Cour identifie le brevet comme reposant sur une idée abstraite, elle passe à la seconde partie du test.
Seconde Partie : La demande de brevet, prise dans son ensemble, apporte-t-elle une innovation améliorant le fonctionnement de l’ordinateur ou d’autres types de technologies ? (Arrêt Alice = NON)
Dans l’arrêt Alice, la Cour démontre que l’utilisation d’un logiciel comme intermédiaire dans une transaction financière revient simplement à utiliser les fonctions les plus basiques de stockage d’un ordinateur. Le logiciel n’apporte rien de plus, et la demande de brevet récite uniquement des étapes déjà connues dans le commerce et pouvant être utilisées sur n’importe quel ordinateur.
Pour aller plus loin: cette recherche est mise en place afin d’éviter qu’une personne puisse monopoliser un phénomène naturel, une loi de la nature, ou une idée abstraite. La demande est analysée dans son ensemble, et non sur un élément donné.
La Cour a décidé que l’invention devait apporter une amélioration significative, et elle a identifié un certain nombre d’éléments à prendre en compte pour cette analyse. En effet, la Cour a jugé par exemple que l’amélioration d’une technologie, ou du fonctionnement d’un ordinateur[7], ou bien le fait d’effectuer une transformation de matière pour la rendre dans un autre état que son état d’origine[8], ou le fait d’ajouter une limitation spécifique à un processus qui est davantage qu’une action de routine ou une pratique généralisée[9], sont des exemples suffisants pour démontrer que l’invention apporte plus que le simple constat d’une idée abstraite, ou phénomène naturel, et surtout ne créera pas un monopole de l’idée abstraite.
Il faut noter que certaines modifications ne sont pas jugées suffisantes pour être brevetables aux yeux de la Cour, tel le fait d’ajouter le mot « Appliquer » dans la liste d’instructions pour la mise en œuvre d’une idée abstraite ou d’un programme d’ordinateur[10], ou uniquement de collecter et de stocker des données sur une loi de la nature, ou une idée abstraite.[11]
En général, il faut s’assurer que l’invention ne se contente pas de reprendre une idée abstraite telle qu’une formule mathématique sans rien modifier et/ou apporter quoi que ce soit de nouveau. Plus l’invention est différente de ce qui se trouve dans la nature, ou s’éloigne d’une simple idée abstraite, et plus il y a de chances pour que le brevet soit obtenu et/ou reconnu lors d’un éventuel contentieux.
Si la première partie du test pose peu de problèmes, c’est la seconde partie que la plupart des logiciels ne réussissent pas à satisfaire. La Cour dans l’arrêt Alice ne donne pas vraiment d’exemples d’innovations jugées suffisantes pour passer ce test. L’USPTO a cela dit publié un guide quant à la ligne de conduite à adopter en cette matière, que vous pourrez trouver dans le Federal Register/Vol. 79, No. 241/Tuesday, December 16, 2014 (en anglais).
Ce qui est particulièrement problématique c’est le côté rétroactif de cette décision, qui vient invalider les brevets de logiciels déjà émis, et dont les bénéficiaires auront du coup du mal à faire reconnaître leurs droits devant les tribunaux au vu de la difficulté liée au fait de devoir désormais satisfaire la seconde partie du test.
En conclusion, le logiciel doit absolument apporter quelque chose de significatif à l’ordinateur ou à d’autres technologies afin de pouvoir être breveté en tant que tel. La Cour est extrêmement stricte dans son interprétation de la seconde partie du test de brevetabilité des logiciels. De plus, les brevets déjà obtenus pour des logiciels se retrouvent en péril puisqu’ils ne seront pas considérés comme valides s’ils ne réussissent pas à passer le test dans le cadre d’un contentieux, avec la conséquence fâcheuse que le logiciel ne sera pas protégé.
Pour plus d’informations, vous pouvez nous contacter dans la rubrique « contactez-nous ».
> Federal Register/Vol. 79, No. 241/Tuesday, December 16, 2014
[1] https://techrights.org/2015/10/12/alice-case-vs-software-patents/
[2] Alice Corp. V. CLS Bank International
[3] Bilski v. Kappos, 561 U.S. 593
[4] Ultramercial, LLC v. Hulu, LLC and WildTangent,
[5] Planet Bingo, LLC v. VKGS LLC,
[6] https://www.uspto.gov/sites/default/files/documents/ieg-july-2015-qrs.pdf
[7] Idem note 2
[8] Diehr, 450 U.S. at 184
[9] Mayo, 132 S. Ct. at 1299, 1302
[10] idem note 2
[11] Idem note 8